Voyages bis

Les plages de vide et de sable prennent le pas sur l'activité des derniers jours, j'ai perdu l'habitude de ne rien faire, être sur une brèche sans fin était devenu une habitude, fonctionner dans la course et l'organisation à la minute ne marche plus, je dois apprendre à faire moins et ne plus tourner dans ma cage. Ma nervosité rend le farniente comme on l'entend difficile à atteindre, le blanc laisse tellement de place. Il est à intégrer entièrement, puis respirer, méditer, c'est une fenêtre tellement rare dans ma vie, je ne devrais pas la boucher des briques de mon énergie éparpillée.

Voyages

Les bruits, couleurs et saveurs des Indes s'estompent à mesure que ces jours réunionnais brûlent mes épaules. L'Inde comme un dépaysement total où quasi tout ce qu'on a pu apprendre dans le cadre de notre culture n'a plus d'écho là-bas. Une fois intégrés dans le tumulte de la rue, avec humains, vaches, chiens, chameaux, vélos, pousse-pousse, rickshaws, voitures et camions, leurs klaxons dans les oreilles, le mouvement incessant nous obligeant à avancer, nous l'avons découverte. Dans sa splendeur miséreuse. Son harmonie discordante. Nous avons voyagé, les yeux grand ouverts, l'injustice de la vie, la valeur d'une vie plantés dans le cœur, et pourquoi moi et pas eux et qu'ai-je fait pour mériter cela ? Rien. Etre consciente de sa chance, de sa putain de chance que rien ne justifie.
Les jours réunionnais sont plus chauds et humides, verts, propres. Pour moi plus emplis de doutes aussi, de peurs : j'évolue, je crains la chute, je pleure, N. reçoit pêle-mêle ces ressentis dont il n'est pas la source. Mon esprit après 3 semaines de vacances se paie le luxe de baguenauder, d'errer dans des contrées sombres où il savoure une souffrance inutile, s'enferre dans des absurdités sans nom. Ces peurs qui m'étreignent, de l'engagement donc du rejet, de l'inconnu futur... Il faut que je cesse de m'emporter, il faut que je me recentre, absolument. Maintenant.


Clutch, The Regulator

Ou comment c'est reparti.


aujourd'hui

Le soleil se couche orange et filtre à travers les rideaux moirés, de telle sorte qu'il s'y crée des motifs psychédéliques en forme de losanges. Je suis dans le lit, notre lit, malade depuis 2 jours ; les forces reviennent.
Je suis seule dans ce nouvel appartement, Esther s'y fait très vite, j'entends les va-et-vient incessants de la chattière dans la pièce d'à côté, elle vient ronronner sur mes genoux puis repart à l'affût de quelque poussière dans l'air. Le grand pari cette année donc, sera de revivre avec quelqu'un, mon quelqu'un, de préserver mon espace autant que le sien, et de partager le reste. Tout démarre sous d'excellents auspices, lui étant très à l'écoute et au fait de mes peurs d'animal presqu'apprivoisé, puisqu'un peu pareil au fond il faut bien le dire, un espace-bureau m'est dédié en cas d'asociabilité aiguë.
Mobydick revient tout bientôt, on n'aura même pas pu parler de mission cette fois-ci, alors il devra y retourner, fréquenter les petits poissons, encore une fois, malgré sa décision d'arrêter.
Puis dans si peu de temps... l'Inde, La Réunion, la Bretagne et puis la Lorraine et puis un avenir pour le moins incertain qui se dessinera pour moi.
Un brouillard dense plane au-dessus de ces interrogations, parce que je ne veux pas encore y réfléchir, je ne parviens toujours qu'à peine à digérer le présent, alors l'avenir... je sais déjà qu'il sera avec lui, et cela me rassure dix mille fois.

L'amour est un oui sans pitié (Denis Marquet)

Le véritable amour est un oui inconditionnel à l'autre. Qu'est-ce qu'un autre ? Ce qui n'est pas même : ni moi ni comme moi. L'autre m'échappe. Au-delà de moi, ne pouvant être compris dans les limites de mon savoir, il est mystère. L'amour est un oui sans condition au mystère qu'est l'autre. Autrui n'a pas à être comme moi ni comme je veux qu'il soit : il n'a pas à correspondre à mes attentes. Celles-ci sont fondées sur le manque. Il y a en nous, gravée au coeur de notre chair, une souffrance qui correspond à tous nos manques passés. Les attentes que nous projetons sur les autres sont des stratégies de soulagement de cette souffrance : nous voyons en l'autre l'objet qui va pouvoir nous combler. Cette femme dont je suis amoureux, je l'associe à ma mère dont l'amour m'a fait défaut sous une forme ou sous une autre, et je lui demande inconsciemment de me donner ce dont j'ai manqué. Nous avons tous de multiples carences affectives, car le manque est inhérent à la condition humaine. Nos attentes, nos projections sur autrui témoignent d'un refus de cette sensation de manque. C'est ainsi que nous posons des conditions à notre accueil d'autrui : "Sois tel que mon manque est soulagé." Ainsi, nous conditionnons ce dernier qui, pour se sentir aimé, doit se conformer à notre projet sur lui - donc cesser d'être lui-même. Le simulacre de l'amour est une prison qui fait d'autrui l'otage de nos propres besoins, ce qu'il ne peut accepter qu'en nous enchaînant de la même manière. Aimer, c'est d'abord libérer l'autre de nos refus d'éprouver le manque et la souffrance. Apprendre à aimer exige d'être impitoyable avec soi-même. L'amour accompli a deux faces. La plus connue est sa face féminine, l'accueil inconditionnel : "Qui que tu sois, quoi que tu fasses, je t'accueille, mon amour t'es donné." C'est bien sûr l'essence de l'amour maternel, mais la polarité féminine de l'amour accompli se rencontre également en toute femme qui aime ainsi qu'en tout homme puisque, comme l'a montré Jung, tout est humain est porteur des archétypes féminins et masculins.
Moins connue est la face masculine de l'amour accompli. A l'instar de son homologie féminine, elle consiste dans un oui inconditionnel à l'autre. Mais ce n'est pas le même oui. Non pas accueil, mais désir inconditionnel de l'autre, ce n'est pas un oui de réceptivité mais d'action. Sa formule est : "Qui que tu sois, deviens-le !" C'est l'amour exigence, celui qui somme l'autre d'être digne de lui-même : "Cet être que tu es, ce mystère que je ne connais pas et qui t'échappe aussi à toi-même, je veux l'éprouver, je veux que tu me le donnes et que tu le donnes au monde." C'est l'amour du père et le fondement de l'autorité paternelle authentique. C'est l'amour du véritable maître, s'il en est. Et c'est une dimension qui existe au coeur de tout véritable amour - raison pour laquelle celui-ci n'est jamais de tout repos ! Celui ou celle qui m'aime véritablement sera toujours sans pitié pour mes masques, mes tiédeurs et mes échappatoires, tout ce qui m'empêche de vivre et d'accomplir la vérité profonde de mon être.
Le désir inconditionnel sans l'accueil inconditionnel est dureté, ce n'est plus de l'amour, car il n'y a pas de compassion pour les faiblesses de l'autre. Mais l'accueil inconditionnel sans l'exigence du véritable désir est un confort régressif qui étouffe la vie.